La pratique des seconds vins
Posté le 28/10/2012
A l’origine, on désignait uniquement comme seconds vins les cadets des crus classés bordelais : issu de la même propriété que son prestigieux aîné, un second vin correspond soit aux jeunes vignes, soit aux parcelles jugées indignes du premier vin (soit à une cuve destinée au premier vin puis déclassée). Ainsi, le second vin d’un domaine correspond généralement aux cuves remplies avec la vendange de ces parcelles de moindre qualité. Plus rarement, issu d’une sélection parcellaire, c’est un autre vin.(*)
NB : Cet article a été initialement publié à la date indiquée sur l'ancien blog d'Alexis Sabourin par lui-même, d'où le style et ses commentaires personnels.
Plus récemment, un autre article sur le sujet des Seconds Vins a été publié sur notre site, bien plus détaillé :
J’ai déjà écrit sur ce blog que cette pratique avait été inaugurée par le Baron Philippe de Rothschild avec Mouton Cadet. Les médiocres récoltes des années 30 avaient conduit ce propriétaire à déclasser une partie de la production destinée à Mouton dans un second vin, à juste propos baptisé « Cadet ». La fin des années 40 offrant de beaux millésimes, le second vin devient inutile : la production est suffisamment qualitative pour être totalement dédiée au premier vin.
Plus tard le second vin reviendra, sous le nom « Le Petit Mouton de Rothschild ». Mais Mouton Cadet perdure, devenant un vin de négoce : le vin ne provient plus de la propriété qui bénéficie de l’appellation d’origine contrôlée Pauillac, mais d’autres propriétés du Bordelais, Mouton Cadet devenant de cette façon un Bordeaux. De fait, le vin est issu de plusieurs lieux différents, où le prix du vrac sera beaucoup plus bas, comme le Bourgeais et le Blayais ou l’AOC Bordeaux.
En vérité, l’origine des seconds vins est plus ancienne, le mérite de Mouton Cadet étant plutôt la conversion de son second vin en marque de négoce. Selon La Revue des Vins de France, le Pavillon Rouge de Château Margaux, seconde étiquette du Premier cru classé de l’appellation éponyme, existe depuis 1908. Et comme le Château Pichon-Longueville Comtesse de Lalande avait envoyé son second vin à l'Exposition de Moscou en 1874, il y a fort à parier que cette pratique est encore plus ancienne... Ceci dit, elle n’est devenue systématique que dans les années 1980, quand les prix des crus classés ont commencé à flamber. En équivalent, les vins de Bordeaux les plus chers valaient 30 euros avant l’envolée des prix, il y a donc une trentaine d’années (aujourd’hui, veuillez ajouter un ou deux zéros).
Pour le producteur, quel est l’intérêt de faire un second vin ? Il faut savoir que la taille des propriétés évolue dans le temps. Les crus classés en 1855, pour certains, ont triplé de taille depuis cette date, les parcelles de propriétés non classées acquises auprès du voisinage devenant comme par magie classées sans autre formalité qu’un acte de transfert de propriété, lors de leur intégration à un cru classé. Les parcelles acquises n’ayant pas forcément le même potentiel, la qualité du grand vin aurait pu en pâtir.
Ainsi, déclasser une partie de leur production dans un second vin permet aux crus classés de maintenir la qualité jugée digne du premier. A lire La Revue des Vins de France(**), certains constituent d’excellents rapports qualité-prix. Cette affirmation convient d’être nuancée : dans le meilleur des cas un second vaut bien d’autres premiers, effectivement, mais c’est un peu aussi la marque du premier vin, une part de rêve, qui est proposée à l’acheteur et dont le prix s’en ressent.(***)
Les domaines réputés profitent donc de leur notoriété pour vendre au prix fort un second vin qui vaut souvent plus cher qu’un autre grand cru, classé ou non, sans garantie qu’il soit meilleur. Comme on dit, on paye la marque ou, pour se rassurer, le savoir-faire. Certains domaines proposent aussi un troisième vin. Personnellement, dans ce cas le doute est moins permis : à prix équivalent (on se situe déjà autour de 15€ !), autant s’offrir un illustre inconnu.
(*) Et au sujet de la sélection parcellaire, les crus classés utilisent ce procédé pour isoler leurs moins bonnes parcelles quand des propriétés moins réputées vont y recourir pour isoler les meilleures, et sortir un grand vin, supérieur à leur production classique (souvent, la fameuse cuvée prestige correspond à une tête de cuvée, la meilleure cuve, parfois à une sélection des meilleures parcelles).
(**) site web : www.larvf.com/
(***) On a tendance à boire leur sainte écriture, et je me régale d’ailleurs à la lecture du dernier numéro de novembre 2012. Mais mettre en avant les seconds vins des crus classés de 1855 quand Bordeaux compte un florilège de productions d’un bien meilleur rapport qualité-prix, ils poussent le bouchon un peu loin ! C’est un peu facile… Le prix moyen (sur 36 seconds vins) est d’environ 40 euros.
Alors certes les seconds vins des Premiers crus classés en 1855 font gonfler la moyenne. La palme revient au cadet de Château Lafite, Les Carruades de Lafite, dopé par le marché asiatique, dont le prix est d’environ 230 euros. Un certain nombre de seconds vins est accessible autour de 15 € et la plupart ne dépasse pas 30 €. Mais à ce niveau de prix on trouve déjà plusieurs crus classés du côté de Saint-Emilion ou des Graves (Pessac-Léognan). Dans le sillage du phénomène spéculatif touchant les crus classés, année après année, leur prix augmente.
Il est vrai que certains seconds ont un niveau particulièrement élevé. Mais comme leur prix l’est tout autant, tout comme on conseillait en fin d’article de préférer un premier vin d’un illustre inconnu à un troisième vin d’un cru classé, à prix équivalent on préfèrera un cru classé à un second vin d’un cru classé. Même dans le Médoc, il subsiste quelques classés entre 20 et 30 euros. Je pense notamment à Cantemerle en Haut-Médoc et à Pédesclaux en Pauillac, mais attention cette propriété a été reprise récemment et son prix a déjà augmenté de plusieurs euros sur les deux derniers exercices – sur un millésime récent : FAV Leclerc 2011 à 18 € et 2012 à 25 € ! Ce qui illustre bien cette idée de spéculation.
Les seconds vins des crus classés en 1855 avec la notation de la Revue des vins de France + propriété d’origine, AOC et prix approximatif :
17,5
Pavillon Rouge du Château Margaux, château Margaux, Margaux, 180 €
Le Clarence de Haut-Brion (anciennement Bahans Haut-Brion), château Haut-Brion, Pessac-Léognan, 135 €
La Croix de Beaucaillou, château Ducru Beaucaillou, Saint-Julien, 40 €
Carruades de Lafite, château Lafite-Rothschild, Pauillac, 230 €
17
Le Petit Mouton de Mouton Rothschild, château Mouton Rothschild, Pauillac, 100 €
Le Petit Lion du Marquis de Las Cases, château Léoville Las Cases, Saint-Julien, 40 €
Les Pagodes de Cos, château Cos d’Estournel, Saint-Estèphe, 45€
Les Tourelles de Longueville, château Pichon-Baron, Pauillac, 29 €
Pavillon de Léoville Poyferré, château Léoville Poyferré, Saint-Julien, 30 €
16,5
Les Hauts de Pontet-Canet, château Pontet-Canet, Pauillac, 31 €
La Réserve de Léoville Barton, château Léoville Barton, 38€
16
Echo de Lynch Bages, château Lynch Bages, Pauillac, 30 €
Ségla, château Rauzan-Ségla, Margaux, 30 €
La Dame de Montrose, château Montrose, Saint-Estèphe, 39 €
Duluc de Branaire-Ducru, château Branaire-Ducru, Saint-Julien, 23 €
15,5
Brio de Cantenac Brown, château Cantenac Brown, Margaux, 19 €
Marquis de Calon, château Calon Ségur, Saint-Estèphe, 15 €
Lacoste Borie, château Grand-Puy-Lacoste, Pauillac, 22 €
Réserve de la Comtesse, château Pichon Longueville Comtesse, Pauillac, 37 €
15
Les Allées de Cantemerle, château Cantemerle, Haut-Médoc, 15 €
Les Pèlerins de Lafon-Rochet, Saint-Estèphe, 15 €
Charme de Cos Labory, château Cos Labory, Saint-Estèphe, 13 €
Diane de Belgrave, château Belgrave, Haut-Médoc, 17 €
La Bastide Dauzac, château Dauzac, Margaux, 20 €
Sarget de Gruaud-Larose, château Gruaud-Larose, Saint-Julien, 20 €
Joséphine de Boyd, Jacques Boyd ou La Croix de Boyd, château Boyd-Cantenac, Margaux, 20 €
La Couronne de Marquis de Terme, château Marquis de Terme, Margaux, 21 €
Amiral de Beychevelle, château Beychevelle, Saint-Julien, 18 €
14,5
Les Douves du Château La Tour Carnet, château La Tour Carnet, Haut-Médoc, 15 €
Les Hauts du Tertre, château du Tertre, Margaux, 17 €
Blason d’Issan, château d’Issan, Margaux, 20 €
La Dame de Malescot, château Malescot Saint-Exupéry, Margaux, 20 €
Baron de Brane, château Brane-Cantenac, Margaux, 19 €
Les Fiefs de Lagrange, château Lagrange, Saint-Julien, 22 €
Prélude à Grand-Puy Ducasse, château Grand-Puy Ducasse, Pauillac, 15 €
Connétable Talbot, château Talbot, Saint-Julien, 19 €
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On remarquera que les valeurs des prix et des notes correspondent relativement bien (même si on peut s’étonner que les 4 vins les mieux notés aient été dégustés à part, avec Le Petit Mouton). Autre fait étonnant, lui apparent dans cette liste, les trois étiquettes différentes pour le second vin de château Boyd-Cantenac ! N’allez pas m’en demander les raisons, je les ignore. Tant que la mention « château » n’est pas utilisée à tort et à travers, c’est permis. Les seconds vins issus des mêmes parcelles n’y ont pas droit. Ceux issus de parcelles à part pourraient en revanche y avoir droit : Croix de Beaucaillou, Pavillon Rouge du Château Margaux, ou encore - non notés ici – les Forts de Latour (second vin de château Latour), Clos du Marquis (autre vin de Léoville Las Cases, le second issu des mêmes parcelles cité ici étant Le Petit Lion), ou Moulin Riche (autre vin de Léoville Poyferré, dont le second issu des mêmes parcelles cité ici étant Pavillon de Léoville Poyferré).
Pour la synthèse des comptes-rendus des dégustations de chaque vin, je vous invite à jeter un œil à la RVF car cette revue est quand même le produit d’un travail sérieux, constant et de qualité, c’est une référence incontournable sur le vin.