La valeur actuelle du classement de 1855
Posté le 15/02/2012
Les Grands Crus Classés en 1855 n’ont souffert aucune remise en question depuis cette date. Leur hiérarchie est demeurée inchangée, si ce n’est concernant le Château Mouton-Rothschild qui est passé de Second à Premier en 1974. Alors, cette hiérarchie est-elle toujours pertinente ?
La hiérarchie des vins de Bordeaux a toujours existé
La hiérarchie au sein des vins de Bordeaux n’est pas à remettre en cause, le système a toujours fonctionné ainsi : les courtiers déterminaient, sur chaque commune, des étalons de valeur, et se servaient de la hiérarchie établie pour fixer les prix des vins de rang inférieur. Il est normal que les meilleurs vins soient les plus chers même si l'envolée des prix est regrettable pour l'amateur (un cru classé valait 30€ en 1980). Néanmoins, depuis un siècle et demi, la valeur des vins, et donc leur hiérarchie, n’a-t-elle pas évolué ? De fait, certains crus – pour diverses raisons – ont vu leur qualité diminuer. Les Premiers, de même que les Seconds, ne paraissent pas concernés par cette diminution de la qualité, en atteste l’explosion assez récente de leur prix.
Une hiérarchie des vins de Bordeaux figée par l'immuable classement de 1855 ?
En revanche, certains Troisièmes mériteraient mieux, d’autres moins, et il en va de même pour certains Quatrièmes et Cinquièmes. En regardant plus loin, certains vins non classés en 1855 mériteraient de figurer dans le classement. Il en est ainsi, par exemple, des crus classés Bourgeois Exceptionnels en 2003 : les Châteaux Chasse-Spleen, Haut-Marbuzet, Labégorce Zédé (réuni à Labégorce à compter du millésime 2009), Les Ormes de Pez, de Pez, Phélan Ségur, Potensac, Poujeaux, et Siran. Citons également Château Maucaillou : il n’existait simplement pas en 1855 et ne pouvait donc être évalué. Ou encore Château Sociando-Mallet, exclu pour une raison paraissant triviale de nos jours : il était situé à plus d'une journée de cheval de Bordeaux, étant trop au nord, par-delà Saint-Estèphe où s'arrête en effet le classement. Ou enfin Château Meyney dont le propriétaire possédait un autre cru qu'il a préféré mettre en avant, Château La Tour Carnet.
Le classement de 1855 limité aux vins de la rive gauche ?
Autre élément à prendre en compte : les courtiers de la Place de Bordeaux ont procédé à ce classement à la demande de la Chambre de commerce de Bordeaux, elle-même sollicitée par l’Empereur Napoléon III. Les vins du Libournais et de la rive droite en général sont logiquement absents du fameux classement : cette aire de production de grands vins rouges (Pomerol, Saint-Emilion…) avait elle aussi sa Chambre de commerce qui, elle, n’avait pas été sollicitée : de cette manière, aucun Pomerol ni aucun Saint-Emilion ne figure dans le classement de 1855, à la différence du Château Haut-Brion, les Graves relevant du ressort géographique de la Chambre de commerce de Bordeaux. Le premier classement de Saint-Emilion est quant à lui beaucoup plus récent (1959).
Le statut particulier du Château Haut-Brion
Notons par ailleurs que le Château Haut-Brion a la particularité de figurer dans deux classements à la fois, celui de 1855 qui consacre – hormis ce cas particulier – uniquement des crus du Médoc, et celui des Graves, également beaucoup plus récent (1953). Il va de soi que vouloir classer les vins de Bordeaux aujourd’hui, en reprenant le système de 1855 basé sur les prix des crus, impliquerait de prendre en compte les modifications dans la hiérarchie des vins du Médoc, et d’intégrer les meilleurs crus de Saint-Emilion et de Pomerol. En dehors de ces appellations, d’autres vins mériteraient également d’apparaitre dans un tel classement. Ainsi le Côte de Bourg Roc de Cambes y figurerait (de 50 à 70€ selon les millésimes).
Des crus classés évoluant au gré des acquisitions ?
Enfin, un autre argument mettant en cause la qualité des crus classés en 1855 repose sur les modifications qu’a subi le vignoble depuis cette date. Autrefois moins vastes, ces propriétés se sont constamment agrandies, pour la plupart, en absorbant des voisins plus petits. Or les parcelles acquises n’étaient pas forcément aussi qualitatives. Généralement, elles appartenaient à des paysans qui s’en servaient pour leur consommation personnelle et n’avaient pas les moyens matériels ni la volonté pour produire un grand vin. Parfois, ces terres accueillaient un champ et du bétail. Comment maintenir la qualité du vin dans ces conditions ?
L'intérêt de la pratique des seconds vins : maintenir la qualité des premiers vins
Les propriétaires ont trouvé la solution. Le Baron Philippe de Rothschild plus précisément, en inaugurant la pratique des seconds vins. Dans les années 30, de mauvais millésimes le conduisent à déclasser une partie de la production du Château Mouton-Rothschild en… Mouton Cadet, le second terme indiquant sans ambigüité la parenté entre les deux vins. Après la Seconde guerre, l’excellence des millésimes permet de ne plus déclasser une partie des cuves destinées au Premier vin. Mouton Cadet devient une marque commerciale : au lieu d’arrêter la commercialisation de cette marque, on la poursuit alors en créant pour l’occasion un vin de négoce, entièrement constitué à partir de vins issus d’autres propriétés du Bordelais. Mais c’est une autre histoire.
Actualiser le classement de 1855 : difficile ou impossible ?
La hiérarchie issue de 1855 a finalement perdu de sa pertinence au point que son intérêt est surtout historique et à apprécier au cas par cas. D’une part, le classement mériterait d’être revu au sein des propriétés du Médoc pour tenir compte de l’augmentation de la qualité chez certaines, d’une baisse chez d'autres… à la manière de ce qui se fait du côté de Saint-Emilion. D’autre part, un tel classement devrait intégrer les meilleurs vins des autres appellations, Pomerol en tête. Evidemment, le préjudice que subiraient les déclassés est trop important pour assister à une refonte de 1855 car il se chiffrerait en dizaines de millions d’euros. On se consolera donc avec la part de rêve qu’il représente malgré tout et l’existence des classements officiels et officieux ayant fleuri depuis cette date, les autres appellations et les critiques ayant entrepris de rattraper ce retard.
Classification officielle des vins de Bordeaux de 1855
En résumé, en vue de l'Exposition universelle de Paris en 1855, Napoléon III demande à chaque région viticole d’établir un classement de sa meilleure production.
La Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux, créée en 1705, ouvre le dossier pour la Gironde. Ce sont les courtiers de la Place de Bordeaux qui, à sa demande, vont rendre leur verdict avec des critères précis : la notoriété des crus et le prix des transactions.
Dans ce classement figurent uniquement les vins rouges du Médoc, les vins blancs liquoreux de Sauternes et de Barsac et un cru rouge des Graves. Libourne disposant de sa propre chambre de commerce, les vins du Libournais n'ont pas été pris en compte.
Grands crus classés en 1855 Médoc & Sauternes correspondent à deux catégories :
Côté rouges:
60 crus du Médoc et 1 cru de Pessac-Léognan (château Haut-Brion) selon cinq catégories : 5 Premiers Crus, 14 Deuxièmes Crus, 14 Troisièmes Crus, 10 Quatrièmes Crus, 18 Cinquièmes Crus.
Côté blancs liquoreux :
27 crus des appellations Sauternes et Barsac : 1 Premier Cru Supérieur, 11 Premiers Crus, 15 Deuxièmes Crus.
Les vins rouges sont donc répartis de cette manière :
PREMIERS CRUS
Château LAFITE-ROTHSCHILD – Pauillac
Château MOUTON ROTHSCHILD – Pauillac
DEUXIÈMES CRUS
Château RAUZAN-SÉGLA – Margaux
Château RAUZAN-GASSIES – Margaux
Château LÉOVILLE LAS CASES – Saint-Julien
Château LÉOVILLE-POYFERRÉ – Saint-Julien
Château LÉOVILLE BARTON – Saint-Julien
Château DURFORT-VIVENS – Margaux
Château GRUAUD LAROSE – Saint-Julien
Château BRANE-CANTENAC – Margaux
Château PICHON BARON – Pauillac
Château PICHON LONGUEVILLE COMTESSE de LALANDE – Pauillac
Château DUCRU-BEAUCAILLOU – Saint-Julien
Château COS d'ESTOURNEL – Saint-Estèphe
Château MONTROSE – Saint-Estèphe
TROISIÈMES CRUS
Château KIRWAN – Margaux
Château LAGRANGE – Saint-Julien
Château LANGOA BARTON – Saint-Julien
Château MALESCOT SAINT-EXUPÉRY – Margaux
Château BOYD-CANTENAC – Margaux
Château CANTENAC BROWN – Margaux
Château PALMER – Margaux
Château LA LAGUNE – Haut-Médoc
Château DESMIRAIL – Margaux
Château CALON SÉGUR – Saint-Estèphe
Château FERRIÈRE – Margaux
Château MARQUIS d'ALESME BECKER – Margaux
QUATRIÈMES CRUS
Château SAINT-PIERRE – Saint-Julien
Château BRANAIRE-DUCRU – Saint-Julien
Château DUHART-MILON – Pauillac
Château POUGET – Margaux
Château LA TOUR CARNET – Haut-Médoc
Château LAFON-ROCHET – Saint-Estèphe
Château BEYCHEVELLE – Saint-Julien
Château PRIEURÉ-LICHINE – Margaux
Château MARQUIS de TERME – Margaux
CINQUIÈMES CRUS
Château PONTET-CANET – Pauillac
Château BATAILLEY – Pauillac
Château HAUT-BATAILLEY – Pauillac
Château GRAND-PUY-LACOSTE – Pauillac
Château GRAND-PUY DUCASSE – Pauillac
Château LYNCH-BAGES – Pauillac
Château LYNCH-MOUSSAS – Pauillac
Château DAUZAC – Margaux
Château d'ARMAILHAC – Pauillac
Château HAUT-BAGES LIBÉRAL – Pauillac
Château PÉDESCLAUX – Pauillac
Château BELGRAVE – Haut-Médoc
Château de CAMENSAC – Haut-Médoc
Château COS LABORY – Saint-Estèphe
Château CLERC MILON – Pauillac
Château CROIZET-BAGES – Pauillac
Château CANTEMERLE – Haut-Médoc
Pour les vins blancs liquoreux, le classement compte donc 27 crus de Sauternes et de Barsac, répartis de cette façon :
PREMIER CRU SUPÉRIEUR
Château d’YQUEM, AOC Sauternes
PREMIERS CRUS
Château LA TOUR BLANCHE – Sauternes
Château LAFAURIE-PEYRAGUEY – Sauternes
Clos HAUT-PEYRAGUEY – Sauternes
Château de RAYNE VIGNEAU – Sauternes
Château GUIRAUD – Sauternes
Château RABAUD-PROMIS – Sauternes
Château SIGALAS RABAUD – Sauternes
DEUXIÈMES CRUS
Château de MYRAT – Barsac
Château DOISY DAËNE – Barsac
Château DOISY-DUBROCA – Barsac
Château DOISY-VÉDRINES – Barsac
Château FILHOT – Sauternes
Château BROUSTET – Barsac
Château NAIRAC – Barsac
Château CAILLOU – Barsac
Château SUAU – Barsac
Château de MALLE – Sauternes
Château ROMER du HAYOT – Sauternes
Château ROMER – Sauternes
Château LAMOTHE – Sauternes
Château LAMOTHE-GUIGNARD – Sauternes